Inédits

 

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© Photo https://stocksnap.io/ Richard Massey Untitled

 

Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com

 

 

 

[extrait]

 

Entrent le vieux Duc et Amiens.

 

LE VIEUX DUC

Mon compagnon, mon frère d'exil,

N'ai-je pas raison de croire

Que le temps qui s'écoule

Nous rend la vie meilleure?

Ici, plus d'apparat

Plus de faute imputée à l'homme -

Sinon qu'intempéries

Au hasard des saisons.

Et si le vent cinglant

Par un matin d'hiver

Vient de son doigt griffu

Érafler mon visage,

Je salue sa rigueur

Et lui dis en souriant :

« Tes avis judicieux

Me prouvent en ce moment,

Sans nulle complaisance,

Que la froideur de l'air

Opère sur mes sens. »

Ah, la rigueur de l'hiver !

Ses dehors rebutants

Sont garants d'un trésor

À l'exemple de l'huître

À la coque rugueuse

Qui camoufle un éclat

Dans l'abîme des eaux.

Crois-moi,

Cette vie que nous menons

À l'écart du tapage

Et des cités modernes

Prête aux arbres une parole

À la nature une écriture,

Aux pierres une morale

Et en toute chose une bonté.

 

AMIENS

Que tout cela demeure -

Quelle chance

De pouvoir traduire

Les revers de la vie

Dans un style si limpide

Et si doux.

 

LE VIEUX DUC

Allons, mon ami

Allons chasser.

Ah, mais attends !

J'ai quelque scrupule

À l'idée de tuer

Ces bêtes sans défense.

 

AMIENS

C'est ce qui afflige

Jaques dit le Chagrin

Et qui vous renvoie le blâme

En prétendant

Que vous usurpez ce domaine

Comme votre frère a usurpé le vôtre.

Aujourd'hui, nous l'avons suivi

Jusqu'au pied d'un chêne.

C'est là qu'un cerf

Ahuri et blessé

Par un de nos chasseurs,

Avait élu domicile

Afin de libérer ses pleurs.

Et nous avons assisté, croyez-le bien

À un concert

Des plus douloureux qui soient.

Le cuir de l'animal

Était tendu comme un tambour

Tandis que ses larmes

En s'écoulant

Dévalaient la pente

De l'innocent museau.

Ainsi la bête

En s'offrant aux yeux de Jaques,

S'était affalée

Au bord d'un ruisseau

Où les pleurs augmentaient le niveau.

 

LE VIEUX DUC

Mais que disait Jaques ?

N'a-t-il pas disserté sur la chose ?

 

AMIENS

Que oui ! -

Par un millier de métaphores.

« Pauvre cerf, dit-il,

Tu fais un testament

Comme les gens riches,

En léguant tous leurs biens

À ceux qui en ont déjà trop. »

En constatant l'absence

Des autres bêtes :

« Comme il est frappant de voir

Que la misère

Nous rend plus solitaire ! »

Là-dessus

Un troupeau surgit à proximité

Mais, au lieu de s'attarder

Sur la bête ahurie,

Il poursuit son chemin

Vers l'horizon.

« Ah, de soupirer Jaques

Même la mort

Ne vous ferait pas dévier

Du but que vous convoitez. »

Ainsi fusaient les maximes

Au cœur des bois

Au cœur des cités

Au cœur des empires

Et jusqu'à nos propres cœurs,

Devenus tyrans

Usurpateurs insouciants,

Et, pire encore,

Véritables assassins qui,

Après les avoir effrayés,

Massacrent les animaux

Sur leur propre territoire.

 

LE VIEUX DUC

Et tu l'as laissé

À sa méditation?

 

AMIENS

Oui, pleurant

De voir ainsi pleurer la bête.

 

LE VIEUX DUC

Montre-moi l'endroit.

J'aime écouter

La matière qui l'anime

Quand il est d'humeur sombre.

 

AMIENS

Suivez-moi.

 

Ils sortent.

 

 

William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I

 

 

 

La traduction (version numérique intégrale) de Comme il vous plaira de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.

 

© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html

 

 

 

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[extrait]

 

Entrent le vieux Duc et Amiens.

 

LE VIEUX DUC

Mon compagnon, mon frère d'exil,

N'ai-je pas raison de croire

Que le temps qui s'écoule

Nous rend la vie meilleure?

Ici, plus d'apparat

Plus de faute imputée à l'homme -

Sinon qu'intempéries

Au hasard des saisons.

Et si le vent cinglant

Par un matin d'hiver

Vient de son doigt griffu

Érafler mon visage,

Je salue sa rigueur

Et lui dis en souriant :

« Tes avis judicieux

Me prouvent en ce moment,

Sans nulle complaisance,

Que la froideur de l'air

Opère sur mes sens. »

Ah, la rigueur de l'hiver !

Ses dehors rebutants

Sont garants d'un trésor

À l'exemple de l'huître

À la coque rugueuse

Qui camoufle un éclat

Dans l'abîme des eaux.

Crois-moi,

Cette vie que nous menons

À l'écart du tapage

Et des cités modernes

Prête aux arbres une parole

À la nature une écriture,

Aux pierres une morale

Et en toute chose une bonté.

 

AMIENS

Que tout cela demeure -

Quelle chance

De pouvoir traduire

Les revers de la vie

Dans un style si limpide

Et si doux.

 

LE VIEUX DUC

Allons, mon ami

Allons chasser.

Ah, mais attends !

J'ai quelque scrupule

À l'idée de tuer

Ces bêtes sans défense.

 

AMIENS

C'est ce qui afflige

Jaques dit le Chagrin

Et qui vous renvoie le blâme

En prétendant

Que vous usurpez ce domaine

Comme votre frère a usurpé le vôtre.

Aujourd'hui, nous l'avons suivi

Jusqu'au pied d'un chêne.

C'est là qu'un cerf

Ahuri et blessé

Par un de nos chasseurs,

Avait élu domicile

Afin de libérer ses pleurs.

Et nous avons assisté, croyez-le bien

À un concert

Des plus douloureux qui soient.

Le cuir de l'animal

Était tendu comme un tambour

Tandis que ses larmes

En s'écoulant

Dévalaient la pente

De l'innocent museau.

Ainsi la bête

En s'offrant aux yeux de Jaques,

S'était affalée

Au bord d'un ruisseau

Où les pleurs augmentaient le niveau.

 

LE VIEUX DUC

Mais que disait Jaques ?

N'a-t-il pas disserté sur la chose ?

 

AMIENS

Que oui ! -

Par un millier de métaphores.

« Pauvre cerf, dit-il,

Tu fais un testament

Comme les gens riches,

En léguant tous leurs biens

À ceux qui en ont déjà trop. »

En constatant l'absence

Des autres bêtes :

« Comme il est frappant de voir

Que la misère

Nous rend plus solitaire ! »

Là-dessus

Un troupeau surgit à proximité

Mais, au lieu de s'attarder

Sur la bête ahurie,

Il poursuit son chemin

Vers l'horizon.

« Ah, de soupirer Jaques

Même la mort

Ne vous ferait pas dévier

Du but que vous convoitez. »

Ainsi fusaient les maximes

Au cœur des bois

Au cœur des cités

Au cœur des empires

Et jusqu'à nos propres cœurs,

Devenus tyrans

Usurpateurs insouciants,

Et, pire encore,

Véritables assassins qui,

Après les avoir effrayés,

Massacrent les animaux

Sur leur propre territoire.

 

LE VIEUX DUC

Et tu l'as laissé

À sa méditation?

 

AMIENS

Oui, pleurant

De voir ainsi pleurer la bête.

 

LE VIEUX DUC

Montre-moi l'endroit.

J'aime écouter

La matière qui l'anime

Quand il est d'humeur sombre.

 

AMIENS

Suivez-moi.

 

Ils sortent.

 

 

William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I

 

 

 

La traduction (version numérique intégrale) de Comme il vous plaira de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.

 

© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html

 

 

Inédits

 

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© Photo https://stocksnap.io/ Richard Massey Untitled

 

 

[extrait]

 

Entrent le vieux Duc et Amiens.

 

LE VIEUX DUC

Mon compagnon, mon frère d'exil,

N'ai-je pas raison de croire

Que le temps qui s'écoule

Nous rend la vie meilleure?

Ici, plus d'apparat

Plus de faute imputée à l'homme -

Sinon qu'intempéries

Au hasard des saisons.

Et si le vent cinglant

Par un matin d'hiver

Vient de son doigt griffu

Érafler mon visage,

Je salue sa rigueur

Et lui dis en souriant :

«Tes avis judicieux

Me prouvent en ce moment,

Sans nulle complaisance,

Que la froideur de l'air

Opère sur mes sens.»

Ah, la rigueur de l'hiver!

Ses dehors rebutants

Sont garants d'un trésor

À l'exemple de l'huître

À la coque rugueuse

Qui camoufle un éclat

Dans l'abîme des eaux.

Crois-moi,

Cette vie que nous menons

À l'écart du tapage

Et des cités modernes

Prête aux arbres une parole

À la nature une écriture,

Aux pierres une morale

Et en toute chose une bonté.

 

AMIENS

Que tout cela demeure -

Quelle chance

De pouvoir traduire

Les revers de la vie

Dans un style si limpide

Et si doux.

 

LE VIEUX DUC

Allons, mon ami

Allons chasser.

Ah, mais attends !

J'ai quelque scrupule

À l'idée de tuer

Ces bêtes sans défense.

 

AMIENS

C'est ce qui afflige

Jaques dit le Chagrin

Et qui vous renvoie le blâme

En prétendant

Que vous usurpez ce domaine

Comme votre frère a usurpé le vôtre.

Aujourd'hui, nous l'avons suivi

Jusqu'au pied d'un chêne.

C'est là qu'un cerf

Ahuri et blessé

Par un de nos chasseurs,

Avait élu domicile

Afin de libérer ses pleurs.

Et nous avons assisté, croyez-le bien

À un concert

Des plus douloureux qui soient.

Le cuir de l'animal

Était tendu comme un tambour

Tandis que ses larmes

En s'écoulant

Dévalaient la pente

De l'innocent museau.

Ainsi la bête

En s'offrant aux yeux de Jaques,

S'était affalée

Au bord d'un ruisseau

Où les pleurs augmentaient le niveau.

 

LE VIEUX DUC

Mais que disait Jaques?

N'a-t-il pas disserté sur la chose?

 

AMIENS

Que oui ! -

Par un millier de métaphores.

«Pauvre cerf, dit-il,

Tu fais un testament

Comme les gens riches,

En léguant tous leurs biens

À ceux qui en ont déjà trop.»

En constatant l'absence

Des autres bêtes :

«Comme il est frappant de voir

Que la misère

Nous rend plus solitaire!»

Là-dessus

Un troupeau surgit à proximité

Mais, au lieu de s'attarder

Sur la bête ahurie,

Il poursuit son chemin

Vers l'horizon.

« Ah, de soupirer Jaques

Même la mort

Ne vous ferait pas dévier

Du but que vous convoitez.»

Ainsi fusaient les maximes

Au cœur des bois

Au cœur des cités

Au cœur des empires

Et jusqu'à nos propres cœurs,

Devenus tyrans

Usurpateurs insouciants,

Et, pire encore,

Véritables assassins qui,

Après les avoir effrayés,

Massacrent les animaux

Sur leur propre territoire.

 

LE VIEUX DUC

Et tu l'as laissé

À sa méditation?

 

AMIENS

Oui, pleurant

De voir ainsi pleurer la bête.

 

LE VIEUX DUC

Montre-moi l'endroit.

J'aime écouter

La matière qui l'anime

Quand il est d'humeur sombre.

 

AMIENS

Suivez-moi.

 

Ils sortent.

 

 

William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I

 

 

 

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