Inédits
7190255 - Post. 18-03-06 - 19:43:52 - As you like it
© Photo https://stocksnap.io/ Richard Massey Untitled
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[extrait]
Entrent le vieux Duc et Amiens.
LE VIEUX DUC
Mon compagnon, mon frère d'exil,
N'ai-je pas raison de croire
Que le temps qui s'écoule
Nous rend la vie meilleure?
Ici, plus d'apparat
Plus de faute imputée à l'homme -
Sinon qu'intempéries
Au hasard des saisons.
Et si le vent cinglant
Par un matin d'hiver
Vient de son doigt griffu
Érafler mon visage,
Je salue sa rigueur
Et lui dis en souriant :
« Tes avis judicieux
Me prouvent en ce moment,
Sans nulle complaisance,
Que la froideur de l'air
Opère sur mes sens. »
Ah, la rigueur de l'hiver !
Ses dehors rebutants
Sont garants d'un trésor
À l'exemple de l'huître
À la coque rugueuse
Qui camoufle un éclat
Dans l'abîme des eaux.
Crois-moi,
Cette vie que nous menons
À l'écart du tapage
Et des cités modernes
Prête aux arbres une parole
À la nature une écriture,
Aux pierres une morale
Et en toute chose une bonté.
AMIENS
Que tout cela demeure -
Quelle chance
De pouvoir traduire
Les revers de la vie
Dans un style si limpide
Et si doux.
LE VIEUX DUC
Allons, mon ami
Allons chasser.
Ah, mais attends !
J'ai quelque scrupule
À l'idée de tuer
Ces bêtes sans défense.
AMIENS
C'est ce qui afflige
Jaques dit le Chagrin
Et qui vous renvoie le blâme
En prétendant
Que vous usurpez ce domaine
Comme votre frère a usurpé le vôtre.
Aujourd'hui, nous l'avons suivi
Jusqu'au pied d'un chêne.
C'est là qu'un cerf
Ahuri et blessé
Par un de nos chasseurs,
Avait élu domicile
Afin de libérer ses pleurs.
Et nous avons assisté, croyez-le bien
À un concert
Des plus douloureux qui soient.
Le cuir de l'animal
Était tendu comme un tambour
Tandis que ses larmes
En s'écoulant
Dévalaient la pente
De l'innocent museau.
Ainsi la bête
En s'offrant aux yeux de Jaques,
S'était affalée
Au bord d'un ruisseau
Où les pleurs augmentaient le niveau.
LE VIEUX DUC
Mais que disait Jaques ?
N'a-t-il pas disserté sur la chose ?
AMIENS
Que oui ! -
Par un millier de métaphores.
« Pauvre cerf, dit-il,
Tu fais un testament
Comme les gens riches,
En léguant tous leurs biens
À ceux qui en ont déjà trop. »
En constatant l'absence
Des autres bêtes :
« Comme il est frappant de voir
Que la misère
Nous rend plus solitaire ! »
Là-dessus
Un troupeau surgit à proximité
Mais, au lieu de s'attarder
Sur la bête ahurie,
Il poursuit son chemin
Vers l'horizon.
« Ah, de soupirer Jaques
Même la mort
Ne vous ferait pas dévier
Du but que vous convoitez. »
Ainsi fusaient les maximes
Au cœur des bois
Au cœur des cités
Au cœur des empires
Et jusqu'à nos propres cœurs,
Devenus tyrans
Usurpateurs insouciants,
Et, pire encore,
Véritables assassins qui,
Après les avoir effrayés,
Massacrent les animaux
Sur leur propre territoire.
LE VIEUX DUC
Et tu l'as laissé
À sa méditation?
AMIENS
Oui, pleurant
De voir ainsi pleurer la bête.
LE VIEUX DUC
Montre-moi l'endroit.
J'aime écouter
La matière qui l'anime
Quand il est d'humeur sombre.
AMIENS
Suivez-moi.
Ils sortent.
William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I
La traduction (version numérique intégrale) de Comme il vous plaira de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
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[extrait]
Entrent le vieux Duc et Amiens.
LE VIEUX DUC
Mon compagnon, mon frère d'exil,
N'ai-je pas raison de croire
Que le temps qui s'écoule
Nous rend la vie meilleure?
Ici, plus d'apparat
Plus de faute imputée à l'homme -
Sinon qu'intempéries
Au hasard des saisons.
Et si le vent cinglant
Par un matin d'hiver
Vient de son doigt griffu
Érafler mon visage,
Je salue sa rigueur
Et lui dis en souriant :
« Tes avis judicieux
Me prouvent en ce moment,
Sans nulle complaisance,
Que la froideur de l'air
Opère sur mes sens. »
Ah, la rigueur de l'hiver !
Ses dehors rebutants
Sont garants d'un trésor
À l'exemple de l'huître
À la coque rugueuse
Qui camoufle un éclat
Dans l'abîme des eaux.
Crois-moi,
Cette vie que nous menons
À l'écart du tapage
Et des cités modernes
Prête aux arbres une parole
À la nature une écriture,
Aux pierres une morale
Et en toute chose une bonté.
AMIENS
Que tout cela demeure -
Quelle chance
De pouvoir traduire
Les revers de la vie
Dans un style si limpide
Et si doux.
LE VIEUX DUC
Allons, mon ami
Allons chasser.
Ah, mais attends !
J'ai quelque scrupule
À l'idée de tuer
Ces bêtes sans défense.
AMIENS
C'est ce qui afflige
Jaques dit le Chagrin
Et qui vous renvoie le blâme
En prétendant
Que vous usurpez ce domaine
Comme votre frère a usurpé le vôtre.
Aujourd'hui, nous l'avons suivi
Jusqu'au pied d'un chêne.
C'est là qu'un cerf
Ahuri et blessé
Par un de nos chasseurs,
Avait élu domicile
Afin de libérer ses pleurs.
Et nous avons assisté, croyez-le bien
À un concert
Des plus douloureux qui soient.
Le cuir de l'animal
Était tendu comme un tambour
Tandis que ses larmes
En s'écoulant
Dévalaient la pente
De l'innocent museau.
Ainsi la bête
En s'offrant aux yeux de Jaques,
S'était affalée
Au bord d'un ruisseau
Où les pleurs augmentaient le niveau.
LE VIEUX DUC
Mais que disait Jaques ?
N'a-t-il pas disserté sur la chose ?
AMIENS
Que oui ! -
Par un millier de métaphores.
« Pauvre cerf, dit-il,
Tu fais un testament
Comme les gens riches,
En léguant tous leurs biens
À ceux qui en ont déjà trop. »
En constatant l'absence
Des autres bêtes :
« Comme il est frappant de voir
Que la misère
Nous rend plus solitaire ! »
Là-dessus
Un troupeau surgit à proximité
Mais, au lieu de s'attarder
Sur la bête ahurie,
Il poursuit son chemin
Vers l'horizon.
« Ah, de soupirer Jaques
Même la mort
Ne vous ferait pas dévier
Du but que vous convoitez. »
Ainsi fusaient les maximes
Au cœur des bois
Au cœur des cités
Au cœur des empires
Et jusqu'à nos propres cœurs,
Devenus tyrans
Usurpateurs insouciants,
Et, pire encore,
Véritables assassins qui,
Après les avoir effrayés,
Massacrent les animaux
Sur leur propre territoire.
LE VIEUX DUC
Et tu l'as laissé
À sa méditation?
AMIENS
Oui, pleurant
De voir ainsi pleurer la bête.
LE VIEUX DUC
Montre-moi l'endroit.
J'aime écouter
La matière qui l'anime
Quand il est d'humeur sombre.
AMIENS
Suivez-moi.
Ils sortent.
William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I
La traduction (version numérique intégrale) de Comme il vous plaira de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
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[extrait]
Entrent le vieux Duc et Amiens.
LE VIEUX DUC
Mon compagnon, mon frère d'exil,
N'ai-je pas raison de croire
Que le temps qui s'écoule
Nous rend la vie meilleure?
Ici, plus d'apparat
Plus de faute imputée à l'homme -
Sinon qu'intempéries
Au hasard des saisons.
Et si le vent cinglant
Par un matin d'hiver
Vient de son doigt griffu
Érafler mon visage,
Je salue sa rigueur
Et lui dis en souriant :
«Tes avis judicieux
Me prouvent en ce moment,
Sans nulle complaisance,
Que la froideur de l'air
Opère sur mes sens.»
Ah, la rigueur de l'hiver!
Ses dehors rebutants
Sont garants d'un trésor
À l'exemple de l'huître
À la coque rugueuse
Qui camoufle un éclat
Dans l'abîme des eaux.
Crois-moi,
Cette vie que nous menons
À l'écart du tapage
Et des cités modernes
Prête aux arbres une parole
À la nature une écriture,
Aux pierres une morale
Et en toute chose une bonté.
AMIENS
Que tout cela demeure -
Quelle chance
De pouvoir traduire
Les revers de la vie
Dans un style si limpide
Et si doux.
LE VIEUX DUC
Allons, mon ami
Allons chasser.
Ah, mais attends !
J'ai quelque scrupule
À l'idée de tuer
Ces bêtes sans défense.
AMIENS
C'est ce qui afflige
Jaques dit le Chagrin
Et qui vous renvoie le blâme
En prétendant
Que vous usurpez ce domaine
Comme votre frère a usurpé le vôtre.
Aujourd'hui, nous l'avons suivi
Jusqu'au pied d'un chêne.
C'est là qu'un cerf
Ahuri et blessé
Par un de nos chasseurs,
Avait élu domicile
Afin de libérer ses pleurs.
Et nous avons assisté, croyez-le bien
À un concert
Des plus douloureux qui soient.
Le cuir de l'animal
Était tendu comme un tambour
Tandis que ses larmes
En s'écoulant
Dévalaient la pente
De l'innocent museau.
Ainsi la bête
En s'offrant aux yeux de Jaques,
S'était affalée
Au bord d'un ruisseau
Où les pleurs augmentaient le niveau.
LE VIEUX DUC
Mais que disait Jaques?
N'a-t-il pas disserté sur la chose?
AMIENS
Que oui ! -
Par un millier de métaphores.
«Pauvre cerf, dit-il,
Tu fais un testament
Comme les gens riches,
En léguant tous leurs biens
À ceux qui en ont déjà trop.»
En constatant l'absence
Des autres bêtes :
«Comme il est frappant de voir
Que la misère
Nous rend plus solitaire!»
Là-dessus
Un troupeau surgit à proximité
Mais, au lieu de s'attarder
Sur la bête ahurie,
Il poursuit son chemin
Vers l'horizon.
« Ah, de soupirer Jaques
Même la mort
Ne vous ferait pas dévier
Du but que vous convoitez.»
Ainsi fusaient les maximes
Au cœur des bois
Au cœur des cités
Au cœur des empires
Et jusqu'à nos propres cœurs,
Devenus tyrans
Usurpateurs insouciants,
Et, pire encore,
Véritables assassins qui,
Après les avoir effrayés,
Massacrent les animaux
Sur leur propre territoire.
LE VIEUX DUC
Et tu l'as laissé
À sa méditation?
AMIENS
Oui, pleurant
De voir ainsi pleurer la bête.
LE VIEUX DUC
Montre-moi l'endroit.
J'aime écouter
La matière qui l'anime
Quand il est d'humeur sombre.
AMIENS
Suivez-moi.
Ils sortent.
William Shakespeare, Comme il vous plaira, Acte II sc. I
La traduction (version numérique intégrale) de Comme il vous plaira de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
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