Inédits
7190261 - Post. 18-03-08 - 10:42:16 - Songe
© Photo https://www.flickr.com/creativecommons/ Sharon Mitchell
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
[extrait]
FALSTAFF
Mon hôte de la Jarretière!
L’HÔTE
Mon gros pachyderme! Quelle tête il a? Allez, viens, viens, viens me raconter. Qu’est-ce qui ne va pas?
FALSTAFF
Ma pension ici me coûte trop cher.
L’HÔTE
Tu mènes la vie d’un empereur, d’un tsar et d’un césar.
FALSTAFF
Mon métier me tue. Personne ne peut soupçonner combien l’escroquerie est un art difficile.
BARDOLPH
Comme en musique! Le vrai talent est de voler en mesure.
FALSTAFF
Tu dis toujours «voler». Il faut dire «transférer». Voyons voir: il me faut de nouvelles bottes. Les miennes sont usées à la corde.
BARDOLPH
Vous allez prendre froid.
FALSTAFF
À moins que, par un tour d’adresse, de l’argent me tombe du ciel.
L’HÔTE
Récolter sans qu’il faille semer!
FALSTAFF
Il y a dans les parages un certain Ford. Le connaissez-vous?
L’HÔTE
Tu veux parler de Crésus! Ses vaches l’ont rendu riche comme le beurre qu’il fabrique.
FALSTAFF
Je vais vous exposer mon plan. Puisque, après tout, je n’ai rien à perdre.
BARDOLPH
Sauf du poids.
FALSTAFF
Tu ris de mon poids, Bardolph, la où réside l’ampleur de mes charmes. Écoutez-moi. J’ai décidé de baiser la femme de Ford. J’ai bien vu avec quels yeux elle m’a regardé, il y avait de la langueur, j’ai vu ses lèvres s’arrondir, et ses joues s’empourprer. C’est une opportuniste. Je l’ai lu dans ses pensées. Car je sais lire. C’était écrit, en toutes lettres: «Mon être désormais appartient à Sir John Falstaff.» On m’a dit que c’est elle qui voit aux finances de sa maison. Elle peut disposer à loisir de tout l’argent que gagne son mari. J’ai ici une lettre pour elle. Et cette autre lettre est pour la femme de Page. Car à la façon dont cette Mistress Page m’a examiné tout à l’heure, je l’ai vue succomber à toute ma personne. Le rayon de ses yeux dorait tantôt mon pied, tantôt la majesté de ma taille ineffable.
BARDOLPH
(Comme on voit le soleil éclairer le fumier.)
FALSTAFF
Elle n’en finissait plus d’examiner mes contours, avec un tel appétit que j’ai cru qu’elle allait par ses yeux me dévorer tout entier. Elle aussi détient le cordons de la bourse de son mari. Ces deux femmes sont assorties de richesse et d’audace, comme le Pérou. Je serai leur ambassadeur, je puiserai à même leurs trésors, elles seront mes Indes orientales et occidentales. (À l’Hôte:) Va porter cette lettre à Mistress Page. (À Bardolph:) Et toi va porter celle-ci à Mistress Ford. Je veux de l’expansion! Je veux de l’expansion!
L’HÔTE, bas
J’aimerais mieux porter cette lettre au diable.
BARDOLPH, bas
Moi aussi: ce jeu-là me répugne.
FALSTAFF
Que dis-tu?
BARDOLPH
Que j’y vais de ce pas, mon maître.
L’hôte et Bardolph sortent.
FALSTAFF
Vogue bateleur dans ta nef
Vers les côtes de l’Eldorado.
Je veux être, moi, Falstaff,
Un des grands de ce monde
Car nous sommes dans un siècle
Qui n’a pas de pitié
Pour la racaille immonde.
Il sort.
William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor, Acte I, scène III
La traduction (version numérique intégrale) des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
7190261 - Post. 18-03-08 - 10:42:16 - Songe
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[extrait]
FALSTAFF
Mon hôte de la Jarretière!
L’HÔTE
Mon gros pachyderme! Quelle tête il a? Allez, viens, viens, viens me raconter. Qu’est-ce qui ne va pas?
FALSTAFF
Ma pension ici me coûte trop cher.
L’HÔTE
Tu mènes la vie d’un empereur, d’un tsar et d’un césar.
FALSTAFF
Mon métier me tue. Personne ne peut soupçonner combien l’escroquerie est un art difficile.
BARDOLPH
Comme en musique! Le vrai talent est de voler en mesure.
FALSTAFF
Tu dis toujours «voler». Il faut dire «transférer». Voyons voir: il me faut de nouvelles bottes. Les miennes sont usées à la corde.
BARDOLPH
Vous allez prendre froid.
FALSTAFF
À moins que, par un tour d’adresse, de l’argent me tombe du ciel.
L’HÔTE
Récolter sans qu’il faille semer!
FALSTAFF
Il y a dans les parages un certain Ford. Le connaissez-vous?
L’HÔTE
Tu veux parler de Crésus! Ses vaches l’ont rendu riche comme le beurre qu’il fabrique.
FALSTAFF
Je vais vous exposer mon plan. Puisque, après tout, je n’ai rien à perdre.
BARDOLPH
Sauf du poids.
FALSTAFF
Tu ris de mon poids, Bardolph, la où réside l’ampleur de mes charmes. Écoutez-moi. J’ai décidé de baiser la femme de Ford. J’ai bien vu avec quels yeux elle m’a regardé, il y avait de la langueur, j’ai vu ses lèvres s’arrondir, et ses joues s’empourprer. C’est une opportuniste. Je l’ai lu dans ses pensées. Car je sais lire. C’était écrit, en toutes lettres: «Mon être désormais appartient à Sir John Falstaff.» On m’a dit que c’est elle qui voit aux finances de sa maison. Elle peut disposer à loisir de tout l’argent que gagne son mari. J’ai ici une lettre pour elle. Et cette autre lettre est pour la femme de Page. Car à la façon dont cette Mistress Page m’a examiné tout à l’heure, je l’ai vue succomber à toute ma personne. Le rayon de ses yeux dorait tantôt mon pied, tantôt la majesté de ma taille ineffable.
BARDOLPH
(Comme on voit le soleil éclairer le fumier.)
FALSTAFF
Elle n’en finissait plus d’examiner mes contours, avec un tel appétit que j’ai cru qu’elle allait par ses yeux me dévorer tout entier. Elle aussi détient le cordons de la bourse de son mari. Ces deux femmes sont assorties de richesse et d’audace, comme le Pérou. Je serai leur ambassadeur, je puiserai à même leurs trésors, elles seront mes Indes orientales et occidentales. (À l’Hôte:) Va porter cette lettre à Mistress Page. (À Bardolph:) Et toi va porter celle-ci à Mistress Ford. Je veux de l’expansion! Je veux de l’expansion!
L’HÔTE, bas
J’aimerais mieux porter cette lettre au diable.
BARDOLPH, bas
Moi aussi: ce jeu-là me répugne.
FALSTAFF
Que dis-tu?
BARDOLPH
Que j’y vais de ce pas, mon maître.
L’hôte et Bardolph sortent.
FALSTAFF
Vogue bateleur dans ta nef
Vers les côtes de l’Eldorado.
Je veux être, moi, Falstaff,
Un des grands de ce monde
Car nous sommes dans un siècle
Qui n’a pas de pitié
Pour la racaille immonde.
Il sort.
William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor, Acte I, scène III
La traduction (version numérique intégrale) des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
Inédits
7190261 - Post. 18-03-08 - 10:42:16 - Songe
© Photo https://www.flickr.com/creativecommons/ Sharon Mitchell
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
[extrait]
FALSTAFF
Mon hôte de la Jarretière!
L’HÔTE
Mon gros pachyderme! Quelle tête il a? Allez, viens, viens, viens me raconter. Qu’est-ce qui ne va pas?
FALSTAFF
Ma pension ici me coûte trop cher.
L’HÔTE
Tu mènes la vie d’un empereur, d’un tsar et d’un césar.
FALSTAFF
Mon métier me tue. Personne ne peut soupçonner combien l’escroquerie est un art difficile.
BARDOLPH
Comme en musique! Le vrai talent est de voler en mesure.
FALSTAFF
Tu dis toujours «voler». Il faut dire «transférer». Voyons voir: il me faut de nouvelles bottes. Les miennes sont usées à la corde.
BARDOLPH
Vous allez prendre froid.
FALSTAFF
À moins que, par un tour d’adresse, de l’argent me tombe du ciel.
L’HÔTE
Récolter sans qu’il faille semer!
FALSTAFF
Il y a dans les parages un certain Ford. Le connaissez-vous?
L’HÔTE
Tu veux parler de Crésus! Ses vaches l’ont rendu riche comme le beurre qu’il fabrique.
FALSTAFF
Je vais vous exposer mon plan. Puisque, après tout, je n’ai rien à perdre.
BARDOLPH
Sauf du poids.
FALSTAFF
Tu ris de mon poids, Bardolph, la où réside l’ampleur de mes charmes. Écoutez-moi. J’ai décidé de baiser la femme de Ford. J’ai bien vu avec quels yeux elle m’a regardé, il y avait de la langueur, j’ai vu ses lèvres s’arrondir, et ses joues s’empourprer. C’est une opportuniste. Je l’ai lu dans ses pensées. Car je sais lire. C’était écrit, en toutes lettres: «Mon être désormais appartient à Sir John Falstaff.» On m’a dit que c’est elle qui voit aux finances de sa maison. Elle peut disposer à loisir de tout l’argent que gagne son mari. J’ai ici une lettre pour elle. Et cette autre lettre est pour la femme de Page. Car à la façon dont cette Mistress Page m’a examiné tout à l’heure, je l’ai vue succomber à toute ma personne. Le rayon de ses yeux dorait tantôt mon pied, tantôt la majesté de ma taille ineffable.
BARDOLPH
(Comme on voit le soleil éclairer le fumier.)
FALSTAFF
Elle n’en finissait plus d’examiner mes contours, avec un tel appétit que j’ai cru qu’elle allait par ses yeux me dévorer tout entier. Elle aussi détient le cordons de la bourse de son mari. Ces deux femmes sont assorties de richesse et d’audace, comme le Pérou. Je serai leur ambassadeur, je puiserai à même leurs trésors, elles seront mes Indes orientales et occidentales. (À l’Hôte:) Va porter cette lettre à Mistress Page. (À Bardolph:) Et toi va porter celle-ci à Mistress Ford. Je veux de l’expansion! Je veux de l’expansion!
L’HÔTE, bas
J’aimerais mieux porter cette lettre au diable.
BARDOLPH, bas
Moi aussi: ce jeu-là me répugne.
FALSTAFF
Que dis-tu?
BARDOLPH
Que j’y vais de ce pas, mon maître.
L’hôte et Bardolph sortent.
FALSTAFF
Vogue bateleur dans ta nef
Vers les côtes de l’Eldorado.
Je veux être, moi, Falstaff,
Un des grands de ce monde
Car nous sommes dans un siècle
Qui n’a pas de pitié
Pour la racaille immonde.
Il sort.
William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor, Acte I, scène III
La traduction (version numérique intégrale) des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
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