Topic 7190252

DH//252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:09:33

 

© photo DH/Goro - Nagasaki

MADAMA BUTTERFLY

 

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:09:33

Bien que l’effectif de Madama Butterfly comporte un grand nombre de choristes et de figurants, c’est pour moi l’opéra qui illustre le mieux la solitude. Vrai, Cio-Cio-San et Suzuki sont inséparables, mais la jeune servante fidèle et dévouée à sa maîtresse est le miroir par lequel cette dernière exprime sa solitude, particulièrement dans l’attente du moment béni qui n’arrivera jamais. C’est le drame d’une jeune fille inexpérimentée qui aura tout perdu, le bonheur, l’honneur, jusqu’à son identité compromise par une conversion à la religion catholique qui n’aura rien donné.

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:29:15

Catholique ou anglicane, en fait il s’agit d’une conversion à l’américanisme. Mais là-dessus si vous permettez j’aimerais vous reprendre. Vous dites que cette conversion n’a rien donné, mais je serais portée à dire au contraire qu’elle change tout, en fait, que cette conversion a donné l’opéra en tant que tel. Je m’explique. Pinkerton nous est présenté comme l’Américain insouciant et rebelle, égocentrique et moqueur. C’est ainsi que nous le voyons, de la même manière que le voit le sage et compatissant consul Sharpless, qui est notre œil critique.

Or ce fameux délinquant de Pinkertion qui, pour profiter de la petite Japonaise, va encourir les frais d’un mariage exotique (en sachant très bien qu’une fois la cérémonie terminée, il aura droit à sa récompense et puis finies les folies), va pourtant passer par une passerelle psychologique, peut-on dire pour rester dans l’ambiance et le décor du premier acte. D’insouciant et irresponsable qu’il est d’abord, en quelques mesures il sera imprégné, se découvrira dans la compassion. Il recevra toute la tendresse qu’il lui faut pour soutenir le très beau, et très amoureux, duo qui clôt le premier acte. Tendresse acquise par les conséquences de cette conversion «Bimba, bimba!, non piangere» (Petite enfant, ne pleure pas) - quand je dis que cela nous donne l’opéra, cela nous donne, musicalement, un ténor qui saura chanter l’amour, et non plus la toquade, et donc un duo d’amour, parmi les plus émouvants du répertoire. Fort heureusement, car sans cela, Madama Butterfly serait définitivement un opéra sans ténor!

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:32:07

Elle lui répond en effet que ses paroles la consolent, et qu’elle n’en a jamais entendu d’aussi douces à son cœur. Mais je n’ai toujours pas saisi. Pourquoi dites-vous que c’est par la conversion de Cio-Cio-San que la musique nous amène un ténor viable pour cet opéra?

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:35:40

Simples repères anecdotiques que la musique de Puccini suit pas à pas. Les présentations ont lieu entre le «clan» américain constitué de deux personnages, Pinkerton et le consul, face à la très grande assemblée japonaise qui est invitée à la noce. Dans un aparté, Cio-Cio-San confie à son fiancé qu’elle a, le matin même, changé de religion pour mieux lui appartenir. Cet aveu est interrompu par l’arrivée du commissaire qui procède sur-le-champ au mariage, une scène qui dure moins d’une minute, au terme de laquelle le consul prend congé de la fête. Puis vient ce moment troublant où Pinkerton se découvre seul et sans repère dans la faune japonaise. Le malaise est palpable, qui se voit à son tour interrompu par l’arrivée intempestive du bonze, le chef redouté du clan, qui monte celui-ci contre Cio-Cio-San, blâmée d’avoir renié la religion des siens. C’est ce court moment qui nous permet cette mutation chez Pinkerton, qui deviendra protecteur de son épouse, abandonnée, et donc encore plus seule que lui. C’est ce qui permet tous les niveaux de rapprochement: psychologique, émotif, et musical.

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:38:27

Oui à partir du deuxième acte, l’opéra change de ton. Et Goro a raison de parler de solitude. Le premier acte est un tableau très savant, et très exhaustif, de la vie japonaise. Coutumes et croyances, on y voit aussi l’importance de la solidarité entre membres d’une même famille. Puis le double abandon qui s’abat sur l’héroïne dans une effroyable logique du mélodrame : son mari et sa famille. Un riche prince est amoureux d’elle (l’histoire doit nous rappeler qu’elle est jeune, belle et désirable, à quinze ans!) mais ce dernier ne fait que mettre en relief la réclusion de la geisha.

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:41:16

Elle a pourtant un enfant, non? Un petit Japonais aux cheveux blonds et aux yeux bleus! Je trouve un peu de mauvais goût que cet enfant nous soit caché jusqu’à ce que l’histoire s’enrichisse de ce coup de théâtre très payant une fois qu’on apprend que le mari, et le père, ne reviendront pas.

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:44:49

Mais cela nous confirme encore que le consul Sharpless, c’est nous, dans notre impuissance à corriger l’histoire. Nous apprenons par ses yeux à lui que cet enfant existe, et c’est par les nouvelles qu’il donne de Pinkerton à Butterfly que nous sommes un peu, nous occidentaux, les bourreaux de l’innocente Japonaise. En ce sens, l’œuvre de Pierre Loti et l’opéra de Puccini sont assez moralisateurs. Mais très prophétiques aussi : l’opéra est créé quarante et un ans avant Hiroshima!

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:47:06

C’est à partir du milieu très géométrique de l’opéra que l’ambiance et la musique changent du tout au tout. Sharpless, excédé par la candeur naïve avec laquelle Cio-Cio-San le presse de répondre à ses questions qu’il perd lui-même patience et qu’il demande brutalement: «Que feriez-vous si votre mari ne devait revenir jamais?»

Il y a malheureusement un étirement à partir de cet endroit, une baisse de pression, même musicale. Après le sommet lyrique d’Un bel di, le second air de Cio-Cio-San ne passe pas vraiment, et la fin interminable du deuxième acte, ce tableau de la solitude et de l’attente, n’a pas rendu service à popularité de l’œuvre à sa création. Si c’est aujourd’hui un opéra incontournable du répertoire, ce fut à sa création un échec retentissant.

Un échec pire encore s'il n'y avait pas eu de ténor. Pourtant, Pinkerton se distingue des autres de sa catégorie. À part lui, tous les amoureux chez Puccini sont de bons diables. Même l'activiste Cavardossi dans Tosca est un amant rêvé. Dans Manon Lescaut, La Bohème, Turandot, les ténors sont des tendres. Dick Johnson est un bandit, mais c'est un tendre lui aussi. Puccini, qui a si bien dépeint l'innocence des amoureux, a plutôt tendance a incarner la force néfaste chez la femme. Pinkerton est une sorte de Magda au masculin, une hirondelle. Et là où les barytons sont des obstacles à l'amour (Il Tabarro, Tosca) Sharpless vient fort humainement à la rescousse des malheureux.

 

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MADAMA BUTTERFLY

 

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Bien que l’effectif de Madama Butterfly comporte un grand nombre de choristes et de figurants, c’est pour moi l’opéra qui illustre le mieux la solitude. Vrai, Cio-Cio-San et Suzuki sont inséparables, mais la jeune servante fidèle et dévouée à sa maîtresse est le miroir par lequel cette dernière exprime sa solitude, particulièrement dans l’attente du moment béni qui n’arrivera jamais. C’est le drame d’une jeune fille inexpérimentée qui aura tout perdu, le bonheur, l’honneur, jusqu’à son identité compromise par une conversion à la religion catholique qui n’aura rien donné.

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Catholique ou anglicane, en fait il s’agit d’une conversion à l’américanisme. Mais là-dessus si vous permettez j’aimerais vous reprendre. Vous dites que cette conversion n’a rien donné, mais je serais portée à dire au contraire qu’elle change tout, en fait, que cette conversion a donné l’opéra en tant que tel. Je m’explique. Pinkerton nous est présenté comme l’Américain insouciant et rebelle, égocentrique et moqueur. C’est ainsi que nous le voyons, de la même manière que le voit le sage et compatissant consul Sharpless, qui est notre œil critique.

Or ce fameux délinquant de Pinkertion qui, pour profiter de la petite Japonaise, va encourir les frais d’un mariage exotique (en sachant très bien qu’une fois la cérémonie terminée, il aura droit à sa récompense et puis finies les folies), va pourtant passer par une passerelle psychologique, peut-on dire pour rester dans l’ambiance et le décor du premier acte. D’insouciant et irresponsable qu’il est d’abord, en quelques mesures il sera imprégné, se découvrira dans la compassion. Il recevra toute la tendresse qu’il lui faut pour soutenir le très beau, et très amoureux, duo qui clôt le premier acte. Tendresse acquise par les conséquences de cette conversion «Bimba, bimba!, non piangere» (Petite enfant, ne pleure pas) - quand je dis que cela nous donne l’opéra, cela nous donne, musicalement, un ténor qui saura chanter l’amour, et non plus la toquade, et donc un duo d’amour, parmi les plus émouvants du répertoire. Fort heureusement, car sans cela, Madama Butterfly serait définitivement un opéra sans ténor!

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Elle lui répond en effet que ses paroles la consolent, et qu’elle n’en a jamais entendu d’aussi douces à son cœur. Mais je n’ai toujours pas saisi. Pourquoi dites-vous que c’est par la conversion de Cio-Cio-San que la musique nous amène un ténor viable pour cet opéra?

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:35:40

Simples repères anecdotiques que la musique de Puccini suit pas à pas. Les présentations ont lieu entre le «clan» américain constitué de deux personnages, Pinkerton et le consul, face à la très grande assemblée japonaise qui est invitée à la noce. Dans un aparté, Cio-Cio-San confie à son fiancé qu’elle a, le matin même, changé de religion pour mieux lui appartenir. Cet aveu est interrompu par l’arrivée du commissaire qui procède sur-le-champ au mariage, une scène qui dure moins d’une minute, au terme de laquelle le consul prend congé de la fête. Puis vient ce moment troublant où Pinkerton se découvre seul et sans repère dans la faune japonaise. Le malaise est palpable, qui se voit à son tour interrompu par l’arrivée intempestive du bonze, le chef redouté du clan, qui monte celui-ci contre Cio-Cio-San, blâmée d’avoir renié la religion des siens. C’est ce court moment qui nous permet cette mutation chez Pinkerton, qui deviendra protecteur de son épouse, abandonnée, et donc encore plus seule que lui. C’est ce qui permet tous les niveaux de rapprochement: psychologique, émotif, et musical.

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Oui à partir du deuxième acte, l’opéra change de ton. Et Goro a raison de parler de solitude. Le premier acte est un tableau très savant, et très exhaustif, de la vie japonaise. Coutumes et croyances, on y voit aussi l’importance de la solidarité entre membres d’une même famille. Puis le double abandon qui s’abat sur l’héroïne dans une effroyable logique du mélodrame : son mari et sa famille. Un riche prince est amoureux d’elle (l’histoire doit nous rappeler qu’elle est jeune, belle et désirable, à quinze ans !) mais ce dernier ne fait que mettre en relief la réclusion de la geisha.

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Elle a pourtant un enfant, non? Un petit Japonais aux cheveux blonds et aux yeux bleus! Je trouve un peu de mauvais goût que cet enfant nous soit caché jusqu’à ce que l’histoire s’enrichisse de ce coup de théâtre très payant une fois qu’on apprend que le mari, et le père, ne reviendront pas.

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Mais cela nous confirme encore que le consul Sharpless, c’est nous, dans notre impuissance à corriger l’histoire. Nous apprenons par ses yeux à lui que cet enfant existe, et c’est par les nouvelles qu’il donne de Pinkerton à Butterfly que nous sommes un peu, nous occidentaux, les bourreaux de l’innocente Japonaise. En ce sens, l’œuvre de Pierre Loti et l’opéra de Puccini sont assez moralisateurs. Mais très prophétiques aussi : l’opéra est créé quarante et un ans avant Hiroshima!

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C’est à partir du milieu très géométrique de l’opéra que l’ambiance et la musique changent du tout au tout. Sharpless, excédé par la candeur naïve avec laquelle Cio-Cio-San le presse de répondre à ses questions qu’il perd lui-même patience et qu’il demande brutalement: «Que feriez-vous si votre mari ne devait revenir jamais?»

Il y a malheureusement un étirement à partir de cet endroit, une baisse de pression, même musicale. Après le sommet lyrique d’Un bel di, le second air de Cio-Cio-San ne passe pas vraiment, et la fin interminable du deuxième acte, ce tableau de la solitude et de l’attente, n’a pas rendu service à popularité de l’œuvre à sa création. Si c’est aujourd’hui un opéra incontournable du répertoire, ce fut à sa création un échec retentissant.

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Un échec pire encore s'il n'y avait pas eu de ténor. Pourtant, Pinkerton se distingue des autres de sa catégorie. À part lui, tous les amoureux chez Puccini sont de bons diables. Même l'activiste Cavardossi dans Tosca est un amant rêvé. Dans Manon Lescaut, La Bohème, Turandot, les ténors sont des tendres. Dick Johnson est un bandit, mais c'est un tendre lui aussi. Puccini, qui a si bien dépeint l'innocence des amoureux, a plutôt tendance a incarner la force néfaste chez la femme. Pinkerton est une sorte de Magda au masculin, une hirondelle. Et là où les barytons sont des obstacles à l'amour (Il Tabarro, Tosca) Sharpless vient fort humainement à la rescousse des malheureux.

Topic 7190252

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Bien que l’effectif de Madama Butterfly comporte un grand nombre de choristes et de figurants, c’est pour moi l’opéra qui illustre le mieux la solitude. Vrai, Cio-Cio-San et Suzuki sont inséparables, mais la jeune servante fidèle et dévouée à sa maîtresse est le miroir par lequel cette dernière exprime sa solitude, particulièrement dans l’attente du moment béni qui n’arrivera jamais. C’est le drame d’une jeune fille inexpérimentée qui aura tout perdu, le bonheur, l’honneur, jusqu’à son identité compromise par une conversion à la religion catholique qui n’aura rien donné.

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Catholique ou anglicane, en fait il s’agit d’une conversion à l’américanisme. Mais là-dessus si vous permettez j’aimerais vous reprendre. Vous dites que cette conversion n’a rien donné, mais je serais portée à dire au contraire qu’elle change tout, en fait, que cette conversion a donné l’opéra en tant que tel. Je m’explique. Pinkerton nous est présenté comme l’Américain insouciant et rebelle, égocentrique et moqueur. C’est ainsi que nous le voyons, de la même manière que le voit le sage et compatissant consul Sharpless, qui est notre œil critique.

Or ce fameux délinquant de Pinkertion qui, pour profiter de la petite Japonaise, va encourir les frais d’un mariage exotique (en sachant très bien qu’une fois la cérémonie terminée, il aura droit à sa récompense et puis finies les folies), va pourtant passer par une passerelle psychologique, peut-on dire pour rester dans l’ambiance et le décor du premier acte. D’insouciant et irresponsable qu’il est d’abord, en quelques mesures il sera imprégné, se découvrira dans la compassion. Il recevra toute la tendresse qu’il lui faut pour soutenir le très beau, et très amoureux, duo qui clôt le premier acte. Tendresse acquise par les conséquences de cette conversion «Bimba, bimba!, non piangere» (Petite enfant, ne pleure pas) - quand je dis que cela nous donne l’opéra, cela nous donne, musicalement, un ténor qui saura chanter l’amour, et non plus la toquade, et donc un duo d’amour, parmi les plus émouvants du répertoire. Fort heureusement, car sans cela, Madama Butterfly serait définitivement un opéra sans ténor!

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Elle lui répond en effet que ses paroles la consolent, et qu’elle n’en a jamais entendu d’aussi douces à son cœur. Mais je n’ai toujours pas saisi. Pourquoi dites-vous que c’est par la conversion de Cio-Cio-San que la musique nous amène un ténor viable pour cet opéra?

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Simples repères anecdotiques que la musique de Puccini suit pas à pas. Les présentations ont lieu entre le «clan» américain constitué de deux personnages, Pinkerton et le consul, face à la très grande assemblée japonaise qui est invitée à la noce. Dans un aparté, Cio-Cio-San confie à son fiancé qu’elle a, le matin même, changé de religion pour mieux lui appartenir. Cet aveu est interrompu par l’arrivée du commissaire qui procède sur-le-champ au mariage, une scène qui dure moins d’une minute, au terme de laquelle le consul prend congé de la fête. Puis vient ce moment troublant où Pinkerton se découvre seul et sans repère dans la faune japonaise. Le malaise est palpable, qui se voit à son tour interrompu par l’arrivée intempestive du bonze, le chef redouté du clan, qui monte celui-ci contre Cio-Cio-San, blâmée d’avoir renié la religion des siens. C’est ce court moment qui nous permet cette mutation chez Pinkerton, qui deviendra protecteur de son épouse, abandonnée, et donc encore plus seule que lui. C’est ce qui permet tous les niveaux de rapprochement: psychologique, émotif, et musical.

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Oui à partir du deuxième acte, l’opéra change de ton. Et Goro a raison de parler de solitude. Le premier acte est un tableau très savant, et très exhaustif, de la vie japonaise. Coutumes et croyances, on y voit aussi l’importance de la solidarité entre membres d’une même famille. Puis le double abandon qui s’abat sur l’héroïne dans une effroyable logique du mélodrame : son mari et sa famille. Un riche prince est amoureux d’elle (l’histoire doit nous rappeler qu’elle est jeune, belle et désirable, à quinze ans !) mais ce dernier ne fait que mettre en relief la réclusion de la geisha.

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Elle a pourtant un enfant, non? Un petit Japonais aux cheveux blonds et aux yeux bleus! Je trouve un peu de mauvais goût que cet enfant nous soit caché jusqu’à ce que l’histoire s’enrichisse de ce coup de théâtre très payant une fois qu’on apprend que le mari, et le père, ne reviendront pas.

252Re://T7190 [Dora/Estrel/Cassio/OperaL/Ning/Goro - Madama Butterfly] post. 18-03-03 17:44:49

Mais cela nous confirme encore que le consul Sharpless, c’est nous, dans notre impuissance à corriger l’histoire. Nous apprenons par ses yeux à lui que cet enfant existe, et c’est par les nouvelles qu’il donne de Pinkerton à Butterfly que nous sommes un peu, nous occidentaux, les bourreaux de l’innocente Japonaise. En ce sens, l’œuvre de Pierre Loti et l’opéra de Puccini sont assez moralisateurs. Mais très prophétiques aussi : l’opéra est créé quarante et un ans avant Hiroshima!

C’est à partir du milieu géométrique de l’opéra que l’ambiance et la musique changent du tout au tout. Sharpless, excédé par la candeur naïve avec laquelle Cio-Cio-San le presse de répondre à ses questions qu’il perd lui-même patience et qu’il demande brutalement: «Que feriez-vous si votre mari ne devait revenir jamais?»

Il y a malheureusement un étirement à partir de cet endroit, une baisse de pression, même musicale. Après le sommet lyrique d’Un bel di, le second air de Cio-Cio-San ne passe pas vraiment, et la fin interminable du deuxième acte, ce tableau de la solitude et de l’attente, n’a pas rendu service à popularité de l’œuvre à sa création. Si c’est aujourd’hui un opéra incontournable du répertoire, ce fut à sa création un échec retentissant.

Un échec pire encore s'il n'y avait pas eu de ténor. Pourtant, Pinkerton se distingue des autres de sa catégorie. À part lui, tous les amoureux chez Puccini sont de bons diables. Même l'activiste Cavardossi dans Tosca est un amant rêvé. Dans Manon Lescaut, La Bohème, Turandot, les ténors sont des tendres. Dick Johnson est un bandit, mais c'est un tendre lui aussi. Puccini, qui a si bien dépeint l'innocence des amoureux, a plutôt tendance a incarner la force néfaste chez la femme. Pinkerton est une sorte de Magda au masculin, une hirondelle. Et là où les barytons sont des obstacles à l'amour (Il Tabarro, Tosca) Sharpless vient fort humainement à la rescousse des malheureux.