Inédits
Isabelle Blais dans La Nuit des Rois de Shakespeare
(Traduction Normand Chaurette, mise en scène Yves Desgagnés, Théâtre du Nouveau Monde, saison 2002-2003.)
© Photo Yves Renaud
7190260 - Post. 18-03-07 - 08:20:55 - Nuit des Rois
[extrait]
OLIVIA.
Qu'on ferme la porte du jardin; je veux qu'on nous laisse seule à seul.
Tous sortent.
Donnez-moi votre main.
VIOLA (travestie en jeune homme).
Avec mes hommages, madame, je suis votre tout dévoué.
OLIVIA.
Quel est votre nom?
VIOLA.
Je m'appelle Césario, pour vous servir.
OLIVIA.
Pour me servir, allons donc!
Le monde irait mieux
Si la flagornerie était exclue
De nos conventions.
Vous êtes le serviteur d'Orsino,
Sachez-le.
VIOLA.
Mais puisqu'il est le vôtre,
Je vous sers doublement.
OLIVIA.
Je n'ai que faire d'un pareil service.
Qu'il me serve en pensée,
Encore que je le voudrais
Dépourvu d'imagination,
Tant la sienne est toute remplie de moi.
VIOLA.
Je viens Madame
Pour stimuler la vôtre
À son endroit.
OLIVIA.
Je vous l'ai dit
Et je vous le répète.
De grâce, à tout jamais,
Ne me parlez plus de lui.
En revanche
Si vous me faisiez la cour
Au profit de quelqu'un d'autre
Je vous écouterais
Avec le même ravissement
Qu'à l'audition des sphères.
VIOLA.
Mais, madame…
OLIVIA.
Je n'ai pas fini.
J'ai, depuis l'enchantement
De votre dernière apparition,
Lancé une bague
À votre poursuite.
Il m'a fallu pour ce faire
Mentir à mon intendant,
Et nous mentir à tous les deux.
Je mériterais votre blâme
De vous avoir obligé
À reprendre un objet
Tout en sachant forcément
Que vous ne me l'aviez pas donné.
Qu'avez-vous donc pensé?
Dites-le. Que je me suis compromise
Au détriment de ma dignité?
Cela pourrait me valoir
Vos moqueries les plus cruelles.
Mais qu’importe!
Voyez combien j'ai le sein diaphane,
Qui vous fait voir les émois
Les plus ardents de mon cœur.
À présent, j'ai fini.
Que répondez-vous?.
VIOLA.
Que j’ai pitié de vous.
OLIVIA.
C'est un des degrés de l'amour.
VIOLA.
Ou du mépris
Car on plaint volontiers
Nos ennemis.
OLIVIA.
Vous m'apaisez.
Il y a de la douceur
À devenir votre ennemie.
Mieux vaut périr en tant que proie
Que vivoter d'indifférence.
Coup de l'horloge.
Entendez-vous l'heure qui sonne?
C'est la marque du temps que l'on perd.
Assez d'entretien.
Partez sans crainte,
Je ne veux pas de vous.
Allez, vous grandirez
En âge et en sagesse
Pour le bonheur de celle
Que vous aurez choisie.
On ne pourra la plaindre:
Elle aura un mari présentable.
Suivez la route
Qui va droit au coucher du soleil.
VIOLA.
Oui, mon maître habite à l'ouest.
N'avez-vous rien à lui dire?
OLIVIA.
Et toi? Dis-moi.
Que penses-tu de moi?
VIOLA.
Que vous n'êtes pas
Qui vous voudriez être.
OLIVIA.
Cela vaut aussi pour toi.
VIOLA.
Oui, car je ne suis pas qui je suis.
OLIVIA.
Que n'es-tu pas
Tel que j'aimerais que tu sois.
VIOLA.
Serais-je mieux, alors?
Oui peut-être, car en ce moment
Je ne vaux pas plus qu'une illusion.
OLIVIA.
Il n'est rien de plus beau
Que tes lèvres d'enfant
Qui remuent sensuelles
Avec tant de mépris.
Je croyais mon amour
Refoulé dans le temps
Comme un secret gardé
Prisonnier de la nuit.
Mais j'existe à présent
Aussi vraie que l'éclat
Du grand jour à midi.
Par l'esprit de la rose
Où vont naître et grandir
Les splendeurs de l'été
Je t'aime Césario
D'un amour si puissant
Que rien, ni mon esprit
Ni ma raison,
Ne saurait empêcher
Le brasier du désir.
Ne sois pas effrayé
Par ma déclaration:
Tout l'amour que j'implore
Peut paraître excessif
Mais l'amour que je t'offre
Est plus puissant encore.
VIOLA.
Par toute mon innocence
Je jure que mon cœur
Et mon âme m'appartiennent
Et que toujours
Je n'appartiendrai qu'à moi-même.
Jamais femme ne fut ma maîtresse
Et jamais femme ne le deviendra.
Adieu - je ne reviendrai plus
Déposer à vos pieds
Les soupirs et les pleurs
De mon maître.
OLIVIA.
Reviens je t'en supplie.
Tu réclamais l'amour!
Qu'importe si c'était pour lui
Puisque j'en donne à présent,
Jusqu'à l'infini!
William Shakespeare, La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez, Acte III sc. I
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
La traduction (version numérique intégrale) de La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
Isabelle Blais dans La Nuit des Rois de Shakespeare
(Traduction Normand Chaurette, mise en scène Yves Desgagnés, Théâtre du Nouveau Monde, saison 2002-2003.)
© Photo Yves Renaud
7190260 - Post. 18-03-07 - 08:20:55 - Nuit des Rois
[extrait]
OLIVIA.
Qu'on ferme la porte du jardin; je veux qu'on nous laisse seule à seul.
Tous sortent.
Donnez-moi votre main.
VIOLA (travestie en jeune homme).
Avec mes hommages, madame, je suis votre tout dévoué.
OLIVIA.
Quel est votre nom?
VIOLA.
Je m'appelle Césario, pour vous servir.
OLIVIA.
Pour me servir, allons donc!
Le monde irait mieux
Si la flagornerie était exclue
De nos conventions.
Vous êtes le serviteur d'Orsino,
Sachez-le.
VIOLA.
Mais puisqu'il est le vôtre,
Je vous sers doublement.
OLIVIA.
Je n'ai que faire d'un pareil service.
Qu'il me serve en pensée,
Encore que je le voudrais
Dépourvu d'imagination,
Tant la sienne est toute remplie de moi.
VIOLA.
Je viens Madame
Pour stimuler la vôtre
À son endroit.
OLIVIA.
Je vous l'ai dit
Et je vous le répète.
De grâce, à tout jamais,
Ne me parlez plus de lui.
En revanche
Si vous me faisiez la cour
Au profit de quelqu'un d'autre
Je vous écouterais
Avec le même ravissement
Qu'à l'audition des sphères.
VIOLA.
Mais, madame…
OLIVIA.
Je n'ai pas fini.
J'ai, depuis l'enchantement
De votre dernière apparition,
Lancé une bague
À votre poursuite.
Il m'a fallu pour ce faire
Mentir à mon intendant,
Et nous mentir à tous les deux.
Je mériterais votre blâme
De vous avoir obligé
À reprendre un objet
Tout en sachant forcément
Que vous ne me l'aviez pas donné.
Qu'avez-vous donc pensé?
Dites-le. Que je me suis compromise
Au détriment de ma dignité?
Cela pourrait me valoir
Vos moqueries les plus cruelles.
Mais qu’importe!
Voyez combien j'ai le sein diaphane,
Qui vous fait voir les émois
Les plus ardents de mon cœur.
À présent, j'ai fini.
Que répondez-vous?.
VIOLA.
Que j’ai pitié de vous.
OLIVIA.
C'est un des degrés de l'amour.
VIOLA.
Ou du mépris
Car on plaint volontiers
Nos ennemis.
OLIVIA.
Vous m'apaisez.
Il y a de la douceur
À devenir votre ennemie.
Mieux vaut périr en tant que proie
Que vivoter d'indifférence.
Coup de l'horloge.
Entendez-vous l'heure qui sonne?
C'est la marque du temps que l'on perd.
Assez d'entretien.
Partez sans crainte,
Je ne veux pas de vous.
Allez, vous grandirez
En âge et en sagesse
Pour le bonheur de celle
Que vous aurez choisie.
On ne pourra la plaindre:
Elle aura un mari présentable.
Suivez la route
Qui va droit au coucher du soleil.
VIOLA.
Oui, mon maître habite à l'ouest.
N'avez-vous rien à lui dire?
OLIVIA.
Et toi? Dis-moi.
Que penses-tu de moi?
VIOLA.
Que vous n'êtes pas
Qui vous voudriez être.
OLIVIA.
Cela vaut aussi pour toi.
VIOLA.
Oui, car je ne suis pas qui je suis.
OLIVIA.
Que n'es-tu pas
Tel que j'aimerais que tu sois.
VIOLA.
Serais-je mieux, alors?
Oui peut-être, car en ce moment
Je ne vaux pas plus qu'une illusion.
OLIVIA.
Il n'est rien de plus beau
Que tes lèvres d'enfant
Qui remuent sensuelles
Avec tant de mépris.
Je croyais mon amour
Refoulé dans le temps
Comme un secret gardé
Prisonnier de la nuit.
Mais j'existe à présent
Aussi vraie que l'éclat
Du grand jour à midi.
Par l'esprit de la rose
Où vont naître et grandir
Les splendeurs de l'été
Je t'aime Césario
D'un amour si puissant
Que rien, ni mon esprit
Ni ma raison,
Ne saurait empêcher
Le brasier du désir.
Ne sois pas effrayé
Par ma déclaration:
Tout l'amour que j'implore
Peut paraître excessif
Mais l'amour que je t'offre
Est plus puissant encore.
VIOLA.
Par toute mon innocence
Je jure que mon cœur
Et mon âme m'appartiennent
Et que toujours
Je n'appartiendrai qu'à moi-même.
Jamais femme ne fut ma maîtresse
Et jamais femme ne le deviendra.
Adieu - je ne reviendrai plus
Déposer à vos pieds
Les soupirs et les pleurs
De mon maître.
OLIVIA.
Reviens je t'en supplie.
Tu réclamais l'amour!
Qu'importe si c'était pour lui
Puisque j'en donne à présent,
Jusqu'à l'infini!
William Shakespeare, La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez, Acte III sc. I
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
La traduction (version numérique intégrale) de La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
Inédits
Isabelle Blais dans La Nuit des Rois de Shakespeare
(Traduction Normand Chaurette, mise en scène Yves Desgagnés, Théâtre du Nouveau Monde, saison 2002-2003.)
© Photo Yves Renaud
7190260 - Post. 18-03-07 - 08:20:55 - Nuit des Rois
[extrait]
OLIVIA.
Qu'on ferme la porte du jardin; je veux qu'on nous laisse seule à seul.
Tous sortent.
Donnez-moi votre main.
VIOLA (travestie en jeune homme).
Avec mes hommages, madame, je suis votre tout dévoué.
OLIVIA.
Quel est votre nom?
VIOLA.
Je m'appelle Césario, pour vous servir.
OLIVIA.
Pour me servir, allons donc!
Le monde irait mieux
Si la flagornerie était exclue
De nos conventions.
Vous êtes le serviteur d'Orsino,
Sachez-le.
VIOLA.
Mais puisqu'il est le vôtre,
Je vous sers doublement.
OLIVIA.
Je n'ai que faire d'un pareil service.
Qu'il me serve en pensée,
Encore que je le voudrais
Dépourvu d'imagination,
Tant la sienne est toute remplie de moi.
VIOLA.
Je viens Madame
Pour stimuler la vôtre
À son endroit.
OLIVIA.
Je vous l'ai dit
Et je vous le répète.
De grâce, à tout jamais,
Ne me parlez plus de lui.
En revanche
Si vous me faisiez la cour
Au profit de quelqu'un d'autre
Je vous écouterais
Avec le même ravissement
Qu'à l'audition des sphères.
VIOLA.
Mais, madame…
OLIVIA.
Je n'ai pas fini.
J'ai, depuis l'enchantement
De votre dernière apparition,
Lancé une bague
À votre poursuite.
Il m'a fallu pour ce faire
Mentir à mon intendant,
Et nous mentir à tous les deux.
Je mériterais votre blâme
De vous avoir obligé
À reprendre un objet
Tout en sachant forcément
Que vous ne me l'aviez pas donné.
Qu'avez-vous donc pensé?
Dites-le. Que je me suis compromise
Au détriment de ma dignité?
Cela pourrait me valoir
Vos moqueries les plus cruelles.
Mais qu’importe!
Voyez combien j'ai le sein diaphane,
Qui vous fait voir les émois
Les plus ardents de mon cœur.
À présent, j'ai fini.
Que répondez-vous?.
VIOLA.
Que j’ai pitié de vous.
OLIVIA.
C'est un des degrés de l'amour.
VIOLA.
Ou du mépris
Car on plaint volontiers
Nos ennemis.
OLIVIA.
Vous m'apaisez.
Il y a de la douceur
À devenir votre ennemie.
Mieux vaut périr en tant que proie
Que vivoter d'indifférence.
Coup de l'horloge.
Entendez-vous l'heure qui sonne?
C'est la marque du temps que l'on perd.
Assez d'entretien.
Partez sans crainte,
Je ne veux pas de vous.
Allez, vous grandirez
En âge et en sagesse
Pour le bonheur de celle
Que vous aurez choisie.
On ne pourra la plaindre:
Elle aura un mari présentable.
Suivez la route
Qui va droit au coucher du soleil.
VIOLA.
Oui, mon maître habite à l'ouest.
N'avez-vous rien à lui dire?
OLIVIA.
Et toi? Dis-moi.
Que penses-tu de moi?
VIOLA.
Que vous n'êtes pas
Qui vous voudriez être.
OLIVIA.
Cela vaut aussi pour toi.
VIOLA.
Oui, car je ne suis pas qui je suis.
OLIVIA.
Que n'es-tu pas
Tel que j'aimerais que tu sois.
VIOLA.
Serais-je mieux, alors?
Oui peut-être, car en ce moment
Je ne vaux pas plus qu'une illusion.
OLIVIA.
Il n'est rien de plus beau
Que tes lèvres d'enfant
Qui remuent sensuelles
Avec tant de mépris.
Je croyais mon amour
Refoulé dans le temps
Comme un secret gardé
Prisonnier de la nuit.
Mais j'existe à présent
Aussi vraie que l'éclat
Du grand jour à midi.
Par l'esprit de la rose
Où vont naître et grandir
Les splendeurs de l'été
Je t'aime Césario
D'un amour si puissant
Que rien, ni mon esprit
Ni ma raison,
Ne saurait empêcher
Le brasier du désir.
Ne sois pas effrayé
Par ma déclaration:
Tout l'amour que j'implore
Peut paraître excessif
Mais l'amour que je t'offre
Est plus puissant encore.
VIOLA.
Par toute mon innocence
Je jure que mon cœur
Et mon âme m'appartiennent
Et que toujours
Je n'appartiendrai qu'à moi-même.
Jamais femme ne fut ma maîtresse
Et jamais femme ne le deviendra.
Adieu - je ne reviendrai plus
Déposer à vos pieds
Les soupirs et les pleurs
De mon maître.
OLIVIA.
Reviens je t'en supplie.
Tu réclamais l'amour!
Qu'importe si c'était pour lui
Puisque j'en donne à présent,
Jusqu'à l'infini!
William Shakespeare, La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez, Acte III sc. I
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
La traduction (version numérique intégrale) de La Nuit des Rois ou Ce que vous voudrez de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html