Inédits
7190259 - Post. 18-03-07 - 07:51:25 - Roméo-Juliette
© Photo DH/Montage Digital
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
EXTRAIT: LA REINE MAB
Entrent Roméo, Mercutio, Benvolio, avec cinq ou six autres masques et des porteurs de torches.
ROMÉO
Devons-nous dire quelque chose
Pour nous introduire ?
BENVOLIO
Les boniments sont passés de mode.
Pas de Cupidon
Masqué sous une écharpe
Et portant la flèche du Tartare
Pour effrayer les dames.
Pas de prologue non plus
Pour lequel il nous faudrait
Engager un souffleur.
Laissons-les nous mesurer
Et, à notre tour
Nous battrons leur mesure
Et nous battrons en retraite.
ROMÉO
Donnez-moi un flambeau.
Je n'ai pas le cœur à danser.
Moi qui suis sombre,
Je porterai la lumière.
MERCUTIO
Non, gentil Roméo,
Vous danserez, je le veux.
ROMÉO
Croyez-moi.
Vos esprits sont légers
Et vos talons et vos pieds
N'en peuvent plus d'attendre.
Mon esprit à moi
S'empêtre de lourdeur
Et m'attache à la terre
Aussitôt que je bouge.
MERCUTIO
Paroles d'amoureux !
Demandez à Cupidon
Qu'il vous prête ses ailes
Et vous verrez votre vol
Surpasser vos élans.
ROMÉO
Je souffre trop
De la blessure infligée
Par ses flèches
Pour emprunter
Sa mécanique légère.
Elle ne saurait
Briser les liens
Qui me retiennent au sol,
Car les chaînes de l'amour
Sont d'un alliage solide.
MERCUTIO
Pour vous emprisonner,
Il faudrait que l'amour
Soit un geôlier sans âme.
Vous parler sévèrement
D'une bien tendre chose.
ROMÉO
L'amour, tendre chose ?
Âpreté, rudesse
Amertume brutale
Et pince du Scorpion.
MERCUTIO
Si l'amour est trop dur
Envers vous,
Soyez dur envers lui.
Écorchez l'écorcheur
Afin de le dompter.
Puis-je avoir
S'il vous plait, un visage ?
Un masque sur un masque !
Peu m'importe à présent
Qu'on examine ma laideur.
Cette grimace éloquente
S'insurgera à ma place.
BENVOLIO
Allons-y !
Introduisons-nous,
Et profitons des plaisirs.
ROMÉO
Qu'on me donne un flambeau !
Allez, dans votre insouciance.
Quant à moi, je dirai comme le poète :
« À vos jeux éblouis,
Mon humeur est trop sombre. »
MERCUTIO
« Et grise est la souris
Qui ravale son cri. »
Trêve de morosité.
Nous vous tirerons du malheur
Qui vous embourbe jusqu'au cou.
Hé - vous assassinez le jour !
ROMÉO
Est-ce encore le jour ?
MERCUTIO
Je vous parle de ces torches
Qui brillent inutilement.
Nous gaspillons la lumière,
Alors qu'elle doit nous servir.
Écoutez la bonne intention
Qui réside en mes sens.
ROMÉO
Nous allons dans cette maison
Remplis de bonnes intentions.
Nous y rendre, pourtant,
Est contraire au bon sens.
MERCUTIO
Et pourquoi donc ?
ROMÉO
J'ai fait un rêve.
MERCUTIO
J'ai rêvé, moi aussi.
ROMÉO
Vous avez rêvé ?
MERCUTIO
À quelqu'un qui rêvait.
ROMÉO
C'est donc à moi
Que vous avez rêvé ?
MERCUTIO
Tiens !
Mab, la reine des mensonges, qui préside aux songes, vous a visité ! Sage-femme des fées, infinitésimale, plus petite que l'opale au doigt du magistrat ! Précédée de ses atomes, elle enduit le dormeur de ses mille cristaux. Son char est une coque de musc fabriquée par le fennec, ou par l'arachnide aptère qui, dans la nuit des temps, carrossait les esprits. Ses pistons, ses écrous et son coffre proviennent du coton de l'araignée dont l'extrait de la soie motorise l'envol. Sa cabine est un oeuf que féconde le pou: il dispense à la fois l'essence et le chibou dont l'hydrate métallique distille le brouillard. Le reste est alchimique: variété de pétards, cylindre de bougie provenant de la lune, agrafes, moucherons, breloques, aigrettes et rangs de pendeloques exploitent en harmonie la synthèse subtile de sa carrosserie. En pareille équipée, en travers de l'espace, en travers de la nuit, elle va ! Elle passe ! Elle court ! Elle fuit ! En suscitant les songes de tous les amoureux, elle amplifie les cœurs et embellit la cour où vont les courtisans. Aux fortunes des riches, elle ajoute de l'or. Sur les lèvres des dames, elle attache un désir qui s'accroît doucement jusqu'à perte des sens. Elle exauce en secret les rêves d'avarice de nos hommes d'église. S'enroulant sur le corps alangui du soldat, elle fait miroiter des guerres triomphales, des têtes arrachées qui gisent dans le sang. Et le soldat ravi reçoit la panoplie des armes de combat, arquebuses, stylets et trophées, faisceaux d'armes à feu et feu des alcools dont sa tête s'enivre. Il s'éveille en sursaut : « Ho, aïe, Mon Dieu ! Qu'est-ce ? » Se rendort. C'était Mab. Qui tresse la crinière des chevaux de la nuit. Qui augmente leur pas et leur envoie des sortilèges.
Reine qui, sous les traits
D'une vouivre tordue,
Fait voir aux jeunes gens
Le fardeau de la vie,
Les chagrins, les tourments...
ROMÉO
Assez, Mercutio,
Cela ne rime à rien.
MERCUTIO
Vrai : il s'agit des rêves.
Ce sont là les enfants
Des cervelles oisives
Fugaces comme l'air.
Spectacles incorporels,
Ils s'évanouissent
Au gré du vent
Décevant
Ce vent vif et violent
Dont se revêt le Nord
De toutes les colères.
BENVOLIO
Ce vent dont vous parlez
Loin d'ici nous emporte.
Allez, venez
Nous sommes en retard.
ROMÉO
Encore qu'il soit trop tôt
J'en ai bien peur.
À l'aspect discordant
Du trigone des sphères
Cette nuit, je le sens,
Mettra fin à mes jours.
La misérable vie
Qui oppresse mon cœur
Redoute le signal
D'une impression funeste.
Mon destin cependant
Doit demeurer le maître.
S'il faut suivre son cours,
Je vous dis, mes amis :
Allons-y, suivez-moi !
BENVOLIO
Tambour battant !
William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte I sc. IV
La traduction (version numérique intégrale) de Roméo et Juliette de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
7190259 - Post. 18-03-07 - 07:51:25 - Roméo-Juliette
© Photo DH/Montage Digital
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
EXTRAIT: LA REINE MAB
Entrent Roméo, Mercutio, Benvolio, avec cinq ou six autres masques et des porteurs de torches.
ROMÉO
Devons-nous dire quelque chose
Pour nous introduire ?
BENVOLIO
Les boniments sont passés de mode.
Pas de Cupidon
Masqué sous une écharpe
Et portant la flèche du Tartare
Pour effrayer les dames.
Pas de prologue non plus
Pour lequel il nous faudrait
Engager un souffleur.
Laissons-les nous mesurer
Et, à notre tour
Nous battrons leur mesure
Et nous battrons en retraite.
ROMÉO
Donnez-moi un flambeau.
Je n'ai pas le cœur à danser.
Moi qui suis sombre,
Je porterai la lumière.
MERCUTIO
Non, gentil Roméo,
Vous danserez, je le veux.
ROMÉO
Croyez-moi.
Vos esprits sont légers
Et vos talons et vos pieds
N'en peuvent plus d'attendre.
Mon esprit à moi
S'empêtre de lourdeur
Et m'attache à la terre
Aussitôt que je bouge.
MERCUTIO
Paroles d'amoureux !
Demandez à Cupidon
Qu'il vous prête ses ailes
Et vous verrez votre vol
Surpasser vos élans.
ROMÉO
Je souffre trop
De la blessure infligée
Par ses flèches
Pour emprunter
Sa mécanique légère.
Elle ne saurait
Briser les liens
Qui me retiennent au sol,
Car les chaînes de l'amour
Sont d'un alliage solide.
MERCUTIO
Pour vous emprisonner,
Il faudrait que l'amour
Soit un geôlier sans âme.
Vous parler sévèrement
D'une bien tendre chose.
ROMÉO
L'amour, tendre chose ?
Âpreté, rudesse
Amertume brutale
Et pince du Scorpion.
MERCUTIO
Si l'amour est trop dur
Envers vous,
Soyez dur envers lui.
Écorchez l'écorcheur
Afin de le dompter.
Puis-je avoir
S'il vous plait, un visage ?
Un masque sur un masque !
Peu m'importe à présent
Qu'on examine ma laideur.
Cette grimace éloquente
S'insurgera à ma place.
BENVOLIO
Allons-y !
Introduisons-nous,
Et profitons des plaisirs.
ROMÉO
Qu'on me donne un flambeau !
Allez, dans votre insouciance.
Quant à moi, je dirai comme le poète :
« À vos jeux éblouis,
Mon humeur est trop sombre. »
MERCUTIO
« Et grise est la souris
Qui ravale son cri. »
Trêve de morosité.
Nous vous tirerons du malheur
Qui vous embourbe jusqu'au cou.
Hé - vous assassinez le jour !
ROMÉO
Est-ce encore le jour ?
MERCUTIO
Je vous parle de ces torches
Qui brillent inutilement.
Nous gaspillons la lumière,
Alors qu'elle doit nous servir.
Écoutez la bonne intention
Qui réside en mes sens.
ROMÉO
Nous allons dans cette maison
Remplis de bonnes intentions.
Nous y rendre, pourtant,
Est contraire au bon sens.
MERCUTIO
Et pourquoi donc ?
ROMÉO
J'ai fait un rêve.
MERCUTIO
J'ai rêvé, moi aussi.
ROMÉO
Vous avez rêvé ?
MERCUTIO
À quelqu'un qui rêvait.
ROMÉO
C'est donc à moi
Que vous avez rêvé ?
MERCUTIO
Tiens !
Mab, la reine des mensonges, qui préside aux songes, vous a visité ! Sage-femme des fées, infinitésimale, plus petite que l'opale au doigt du magistrat ! Précédée de ses atomes, elle enduit le dormeur de ses mille cristaux. Son char est une coque de musc fabriquée par le fennec, ou par l'arachnide aptère qui, dans la nuit des temps, carrossait les esprits. Ses pistons, ses écrous et son coffre proviennent du coton de l'araignée dont l'extrait de la soie motorise l'envol. Sa cabine est un oeuf que féconde le pou: il dispense à la fois l'essence et le chibou dont l'hydrate métallique distille le brouillard. Le reste est alchimique: variété de pétards, cylindre de bougie provenant de la lune, agrafes, moucherons, breloques, aigrettes et rangs de pendeloques exploitent en harmonie la synthèse subtile de sa carrosserie. En pareille équipée, en travers de l'espace, en travers de la nuit, elle va ! Elle passe ! Elle court ! Elle fuit ! En suscitant les songes de tous les amoureux, elle amplifie les cœurs et embellit la cour où vont les courtisans. Aux fortunes des riches, elle ajoute de l'or. Sur les lèvres des dames, elle attache un désir qui s'accroît doucement jusqu'à perte des sens. Elle exauce en secret les rêves d'avarice de nos hommes d'église. S'enroulant sur le corps alangui du soldat, elle fait miroiter des guerres triomphales, des têtes arrachées qui gisent dans le sang. Et le soldat ravi reçoit la panoplie des armes de combat, arquebuses, stylets et trophées, faisceaux d'armes à feu et feu des alcools dont sa tête s'enivre. Il s'éveille en sursaut : « Ho, aïe, Mon Dieu ! Qu'est-ce ? » Se rendort. C'était Mab. Qui tresse la crinière des chevaux de la nuit. Qui augmente leur pas et leur envoie des sortilèges.
Reine qui, sous les traits
D'une vouivre tordue,
Fait voir aux jeunes gens
Le fardeau de la vie,
Les chagrins, les tourments...
ROMÉO
Assez, Mercutio,
Cela ne rime à rien.
MERCUTIO
Vrai : il s'agit des rêves.
Ce sont là les enfants
Des cervelles oisives
Fugaces comme l'air.
Spectacles incorporels,
Ils s'évanouissent
Au gré du vent
Décevant
Ce vent vif et violent
Dont se revêt le Nord
De toutes les colères.
BENVOLIO
Ce vent dont vous parlez
Loin d'ici nous emporte.
Allez, venez
Nous sommes en retard.
ROMÉO
Encore qu'il soit trop tôt
J'en ai bien peur.
À l'aspect discordant
Du trigone des sphères
Cette nuit, je le sens,
Mettra fin à mes jours.
La misérable vie
Qui oppresse mon cœur
Redoute le signal
D'une impression funeste.
Mon destin cependant
Doit demeurer le maître.
S'il faut suivre son cours,
Je vous dis, mes amis :
Allons-y, suivez-moi !
BENVOLIO
Tambour battant !
William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte I sc. IV
La traduction (version numérique intégrale) de Roméo et Juliette de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
© nchaurette 2012 - http://www.normandchaurette.com/textes.html
Inédits
7190259 - Post. 18-03-07 - 07:51:25 - Roméo-Juliette
© Photo DH/Montage Digital
Toute représentation, adaptation ou reproduction de ce texte en ligne doit faire l'objet d'une demande à l'agent autorisé du traducteur: www.agencegoodwin.com
EXTRAIT: LA REINE MAB
Entrent Roméo, Mercutio, Benvolio, avec cinq ou six autres masques et des porteurs de torches.
ROMÉO
Devons-nous dire quelque chose
Pour nous introduire ?
BENVOLIO
Les boniments sont passés de mode.
Pas de Cupidon
Masqué sous une écharpe
Et portant la flèche du Tartare
Pour effrayer les dames.
Pas de prologue non plus
Pour lequel il nous faudrait
Engager un souffleur.
Laissons-les nous mesurer
Et, à notre tour
Nous battrons leur mesure
Et nous battrons en retraite.
ROMÉO
Donnez-moi un flambeau.
Je n'ai pas le cœur à danser.
Moi qui suis sombre,
Je porterai la lumière.
MERCUTIO
Non, gentil Roméo,
Vous danserez, je le veux.
ROMÉO
Croyez-moi.
Vos esprits sont légers
Et vos talons et vos pieds
N'en peuvent plus d'attendre.
Mon esprit à moi
S'empêtre de lourdeur
Et m'attache à la terre
Aussitôt que je bouge.
MERCUTIO
Paroles d'amoureux !
Demandez à Cupidon
Qu'il vous prête ses ailes
Et vous verrez votre vol
Surpasser vos élans.
ROMÉO
Je souffre trop
De la blessure infligée
Par ses flèches
Pour emprunter
Sa mécanique légère.
Elle ne saurait
Briser les liens
Qui me retiennent au sol,
Car les chaînes de l'amour
Sont d'un alliage solide.
MERCUTIO
Pour vous emprisonner,
Il faudrait que l'amour
Soit un geôlier sans âme.
Vous parler sévèrement
D'une bien tendre chose.
ROMÉO
L'amour, tendre chose ?
Âpreté, rudesse
Amertume brutale
Et pince du Scorpion.
MERCUTIO
Si l'amour est trop dur
Envers vous,
Soyez dur envers lui.
Écorchez l'écorcheur
Afin de le dompter.
Puis-je avoir
S'il vous plait, un visage ?
Un masque sur un masque !
Peu m'importe à présent
Qu'on examine ma laideur.
Cette grimace éloquente
S'insurgera à ma place.
BENVOLIO
Allons-y !
Introduisons-nous,
Et profitons des plaisirs.
ROMÉO
Qu'on me donne un flambeau !
Allez, dans votre insouciance.
Quant à moi, je dirai comme le poète :
« À vos jeux éblouis,
Mon humeur est trop sombre. »
MERCUTIO
« Et grise est la souris
Qui ravale son cri. »
Trêve de morosité.
Nous vous tirerons du malheur
Qui vous embourbe jusqu'au cou.
Hé - vous assassinez le jour !
ROMÉO
Est-ce encore le jour ?
MERCUTIO
Je vous parle de ces torches
Qui brillent inutilement.
Nous gaspillons la lumière,
Alors qu'elle doit nous servir.
Écoutez la bonne intention
Qui réside en mes sens.
ROMÉO
Nous allons dans cette maison
Remplis de bonnes intentions.
Nous y rendre, pourtant,
Est contraire au bon sens.
MERCUTIO
Et pourquoi donc ?
ROMÉO
J'ai fait un rêve.
MERCUTIO
J'ai rêvé, moi aussi.
ROMÉO
Vous avez rêvé ?
MERCUTIO
À quelqu'un qui rêvait.
ROMÉO
C'est donc à moi
Que vous avez rêvé ?
MERCUTIO
Tiens !
Mab, la reine des mensonges, qui préside aux songes, vous a visité ! Sage-femme des fées, infinitésimale, plus petite que l'opale au doigt du magistrat ! Précédée de ses atomes, elle enduit le dormeur de ses mille cristaux. Son char est une coque de musc fabriquée par le fennec, ou par l'arachnide aptère qui, dans la nuit des temps, carrossait les esprits. Ses pistons, ses écrous et son coffre proviennent du coton de l'araignée dont l'extrait de la soie motorise l'envol. Sa cabine est un oeuf que féconde le pou: il dispense à la fois l'essence et le chibou dont l'hydrate métallique distille le brouillard. Le reste est alchimique: variété de pétards, cylindre de bougie provenant de la lune, agrafes, moucherons, breloques, aigrettes et rangs de pendeloques exploitent en harmonie la synthèse subtile de sa carrosserie. En pareille équipée, en travers de l'espace, en travers de la nuit, elle va ! Elle passe ! Elle court ! Elle fuit ! En suscitant les songes de tous les amoureux, elle amplifie les cœurs et embellit la cour où vont les courtisans. Aux fortunes des riches, elle ajoute de l'or. Sur les lèvres des dames, elle attache un désir qui s'accroît doucement jusqu'à perte des sens. Elle exauce en secret les rêves d'avarice de nos hommes d'église. S'enroulant sur le corps alangui du soldat, elle fait miroiter des guerres triomphales, des têtes arrachées qui gisent dans le sang. Et le soldat ravi reçoit la panoplie des armes de combat, arquebuses, stylets et trophées, faisceaux d'armes à feu et feu des alcools dont sa tête s'enivre. Il s'éveille en sursaut : « Ho, aïe, Mon Dieu ! Qu'est-ce ? » Se rendort. C'était Mab. Qui tresse la crinière des chevaux de la nuit. Qui augmente leur pas et leur envoie des sortilèges.
Reine qui, sous les traits
D'une vouivre tordue,
Fait voir aux jeunes gens
Le fardeau de la vie,
Les chagrins, les tourments...
ROMÉO
Assez, Mercutio,
Cela ne rime à rien.
MERCUTIO
Vrai : il s'agit des rêves.
Ce sont là les enfants
Des cervelles oisives
Fugaces comme l'air.
Spectacles incorporels,
Ils s'évanouissent
Au gré du vent
Décevant
Ce vent vif et violent
Dont se revêt le Nord
De toutes les colères.
BENVOLIO
Ce vent dont vous parlez
Loin d'ici nous emporte.
Allez, venez
Nous sommes en retard.
ROMÉO
Encore qu'il soit trop tôt
J'en ai bien peur.
À l'aspect discordant
Du trigone des sphères
Cette nuit, je le sens,
Mettra fin à mes jours.
La misérable vie
Qui oppresse mon cœur
Redoute le signal
D'une impression funeste.
Mon destin cependant
Doit demeurer le maître.
S'il faut suivre son cours,
Je vous dis, mes amis :
Allons-y, suivez-moi !
BENVOLIO
Tambour battant !
William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte I sc. IV
La traduction (version numérique intégrale) de Roméo et Juliette de Shakespeare par Normand Chaurette est disponible chez Adel.
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